Page:Hazard – Discours sur la langue française, 1913.djvu/15

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çais retentit : il y a des endroits où l’on ne distingue plus, dans l’étrange patois amené par la conquête, la langue du vaincu de celle du vainqueur. Les livres des philosophes, les brochures des politiciens, les feuilles volantes, nos journaux innombrables, nos chansons, les grossières comme la Carmagnole, les héroïques comme la Marseillaise, deviennent les textes de nos leçons. Notre nouveau drapeau prétend faire le tour du monde ; notre langue ne le prétend pas moins.

C’est une invasion spontanée, et c’est une invasion consciente. Le Français, devenu jacobin, ne renonce pas au rêve de l’hégémonie. L’idée de la prédominance sur les nations voisines obsède son esprit ; il a pour sa langue, « que ses ancêtres ont portée à un si haut point de gloire », une tendresse dont il ne rougit pas. Un motif s’ajoute à ceux qu’on avait déjà de l’admirer et de la répandre : « elle sera désormais l’interprète de la liberté ». La plus belle de l’Europe, « celle qui, la première, a consacré franchement les droits de l’homme et du citoyen, celle qui est chargée de transmettre au monde les plus sublimes pensées et les