Aller au contenu

Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


22

La nuit est silencieuse et les rues sont tranquilles. Voici la maison qu’habitait ma bien-aimée ; il y a longtemps qu’elle a quitté la ville, tandis que la maison n’a pas changé de place.

Un homme est là debout, les yeux rivés au ciel, qui se tord les mains avec l’énergie de la douleur. Je frissonne à la vue de son visage : à la clarté de la lune, j’ai reconnu ma propre image.

Ô Double ! mon blême camarade ! Pourquoi singes-tu le désespoir d’amour qui jadis, à cette même place, m’a torturé tant et tant de nuits ?


23

Comment peux-tu dormir tranquille, sachant que je vis encore ? Ma vieille colère s’éveille, et je m’en vais rompre mon joug.

Connais-tu la vieille romance ? — Il y avait une fois un jeune homme mort qui à minuit, enleva sa bien-aimée et l’emmena dans son tombeau.

Crois-moi, enfant merveilleusement belle, enfant merveilleuse de grâce, je vis, et je suis plus fort que ne le sont tous les morts !


24

La jeune fille dort en sa chambre où tremble un rayon de lune… Au dehors, cela chante et cela joue des airs de valse.

« Je veux voir par la fenêtre qui m’empêche ainsi le dormir. » Un squelette est là, dans la rue, qui chante en raclant du violon.

« Tu m’as jadis promis que nous danserions ensemble et tu as manqué de parole. Mais aujourd’hui, c’est le bal du cimetière ; viens-y danser avec moi. »

La jeune fille est saisie d’un violent désir, qui la pousse hors de chez elle. Elle suit le squelette qui marche devant elle, chantant et raclant du violon.