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Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/154

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son bel époux. Aux approches du soir, tremblante et pâle, elle s’arrête derrière un nuage léger et contemple avec douleur celui qui l’abandonna. Elle voudrait pousser le cri de son angoisse : « Viens ! Viens ! Il tarde aux enfants de te voir ! » Mais le soleil, le dieu hautain, à la vue de son épouse, s’empourpre davantage encore de colère et de chagrin, et, implacable, il se couche dans son lit de veuvage aux ondes glacées.

Ainsi de méchantes langues de vipère ont apporté aux éternels dieux eux-mêmes la douleur et la ruine ! Et ces pauvres divinités, tourmentées et inconsolables accomplissent là-haut leur carrière infinie, et ne pouvant pas mourir, elles traînent leur éclatante misère.

Moi, moi qui suis un homme, à qui son humble origine garantit le bonheur de pouvoir mourir, je veux cesser de me plaindre.


4


LA NUIT SUR LA PLAGE


La nuit est froide et sans étoiles ; la mer fermente, et sur la mer, à plat ventre étendu, l’informe vent du nord, comme un vieillard grognon, babille d’une voix gémissante et mystérieuse, et raconte de folles histoires, des contes de géants, de vieilles légendes islandaises remplies de combats et de bouffonneries héroïques, et, par intervalles, il rit et hurle les incantations de l’Edda, les évocations runiques, et tout cela avec tant de gaîté féroce, avec tant de rage burlesque, que les blancs enfants de la mer bondissent en l’air et poussent des cris d’allégresse.

Cependant sur la plage, sur le sable où la marée a laissé son humidité, s’avance un étranger dont le cœur est encore plus agité que le vent et les vagues. Partout où il marche, ses pieds font jaillir des étincelles et craquer des coquillages ; il s’enveloppe dans un manteau gris, et va, d’un pas rapide, à travers la nuit et le vent, guidé par une petite lumière qui luit douce et séduisante dans la cabane solitaire du pêcheur.