Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conseiller de gouvernement dans cette pieuse ville ou fleurissent la foi et le sable, où les eaux sacrées de la Sprée détrempent les âmes et diluent le thé, — que ne donnerais-tu pas pour avoir eu ce rêve, bien-aimé ? Tu l’aurais fait valoir dans le beau monde, ton mol visage et tes yeux clignants fondus dans une expression de piété et d’humilité. Et son Altesse sérénissime transportée et tremblante d’extase se serait jetée à genoux pour prier avec toi ; l’œil allumé d’un saint éclat, il t’aurait alloué une augmentation de salaire de cent thalers, et, les mains jointes, tu aurais bégayé : Béni soit Jésus-Christ !




DEUXIÈME CYCLE



1


SALUT À LA MER


Thalatta ! Thalatta ! Je te salue, mer éternelle ! Je te salue dix mille fois d’un cœur joyeux, comme autrefois te saluèrent dix mille cœurs grecs, cœurs malheureux dans les combats, soupirant après leur patrie, cœurs illustres dans l’histoire du monde.

Les flots s’agitaient et mugissaient ; le soleil versait sur la mer ses clartés roses ; des volées de mouettes s’enfuyaient effarouchées en poussant des cris aigus ; les chevaux piaffaient ; les boucliers résonnaient d’un cliquetis joyeux. Comme un chant de victoire, retentissait alors le cri des fils de Hellas, la reine des flots : Thalatta ! Thalatta !

Je te salue, mer éternelle ! Je retrouve dans le bruissement de tes ondes comme un écho de la patrie, et je crois voir les rêves de mon enfance scintiller sous tes vagues, et il me revient de vieux souvenirs de tous les chers et nobles jouets, de tous les brillants cadeaux de Noël, de tous les coraux rouges, des perles et des coquillages dorés que tu conserves mystérieusement dans des coffrets de cristal !