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Oh ! combien j’ai souffert des ennuis de la terre étrangère ! Comme une fleur fanée dans l’étui de fer-blanc du botaniste, mon cœur se desséchait dans ma poitrine. Il me semble que, durant l’hiver, je m’asseyais comme un malade dans une chambre sombre et malsaine, et maintenant voilà que je l’ai quittée tout à coup, et le vert printemps, éveillé par le soleil, resplendit à mes yeux éblouis, et j’entends le tendre soupir des arbres chargés d’une neige parfumée, et les jeunes fleurs me regardent avec leurs yeux odorants et bariolés, et l’atmosphère pleure et bruit, et respire et sourit, et dans l’azur du ciel les oiseaux chantent : Thalatta ! Thalatta !

Ô cœur vaillant, qui t’es illustré par tes fuites, comme jadis les guerriers de la grande retraite ! combien de fois les beautés barbares du Nord t’ont amoureusement harassé ! — De leurs grands yeux victorieux, elles me lançaient des traits enflammés ; avec leurs paroles à double tranchant, elles s’exerçaient à me fendre le cœur ; avec de longues épîtres assommantes, elles étourdissaient ma pauvre cervelle. Vainement je leur opposais le bouclier, les flèches sifflaient, les coups retentissaient ; elles ont fini par me pousser, ces beautés barbares du Nord, jusqu’au rivage de la mer, et, respirant enfin librement, je salue la mer, la mer bienfaisante et libératrice — Thalatta ! Thalatta !


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L’ORAGE


L’orage couve sourdement sur la mer, et, à travers la noire muraille des nuages, palpite la foudre dentelée qui luit et s’éteint comme un trait d’esprit sorti de la tête de Zeus-Kronion. Sur l’onde déserte et sombre roule longuement le tonnerre et bondissent les blancs coursiers de Poseidon, que Borée lui-même a jadis engendrés avec les cavales échevelées d’Erichthon, et les oiseaux de mer s’agitent, inquiets comme les ombres des morts que Caron, au bord du Styx, repousse de sa barque surchargée.

Il y a un pauvre petit navire qui danse là-bas une danse bien périlleuse ! Éole lui envoie les plus fougueux musiciens de