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Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/179

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allemand. Les gens de ce pays tiennent fortement à la France, à cause des droits civiques qu’ils ont gagnés à la Révolution française, à cause de ces lois d’égalité et de ces institutions libres qui flattent l’esprit de la bourgeoisie, bien qu’elles laissent encore beaucoup à désirer pour l’estomac des grandes masses. Les Lorrains et les Alsaciens se rattacheront à l’Allemagne quand nous finirons ce que les Français ont commencé, le grand œuvre de la Révolution : la Démocratie universelle ! Quand nous aurons poursuivi la pensée de la Révolution dans toutes ses conséquences, quand nous aurons détruit le servilisme jusque dans son dernier refuge — le ciel ! — quand nous aurons chassé la misère de la surface de la terre, quand nous aurons rendu sa dignité au peuple déshérité, au génie raillé, à la beauté profanée, comme nos grands maîtres, les penseurs et les poètes, l’ont dit et l’ont chanté, et comme nous, leurs disciples, le voulons : — alors ce n’est pas seulement l’Alsace et la Lorraine, mais la France tout entière, mais l’Europe et le monde sauvé tout entier, qui seront à nous ! Oui, le monde entier sera allemand ! J’ai souvent pensé à cette mission, à cette domination universelle de l’Allemagne, lorsque je me promenais avec mes rêves sous les sapins éternellement verts de ma patrie — Voilà mon patriotisme.

Henri Heine.
Ce 17 décembre 1844.

I

Ce fut dans le triste mois de novembre — quand les jours s’assombrissent, quand le vent effeuille les arbres, que je partis pour l’Allemagne.

Et lorsque j’arrivai à la frontière, je sentis dans ma poitrine s’accélérer le battement de mon cœur ; je crois même que mes yeux commençaient à s’humecter.

Et lorsque j’entendis parler la langue allemande, je ressentis une étrange émotion. C’était tout simplement comme si mon cœur s’était mis à saigner de charmante façon.

Une petite fille chantait sur une harpe ; elle chantait avec une voix fausse et un sentiment vrai ; mais cependant la musique m’émut.