Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/183

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Ils se promènent toujours aussi raides, aussi guindés, aussi étriqués qu’autrefois, et droits comme un I ; on dirait qu’il ont avalé le bâton de caporal dont on les rossait jadis.

Oui, l’instrument de la schlague n’est pas entièrement disparu chez les Prussiens ; ils le portent maintenant à l’intérieur.

Leur longue moustache n’est tout bonnement qu’une nouvelle phase de l’empire des perruques : au lieu de pendre sur le dos, la queue vous pend maintenant sous le nez.

Je fus assez content du nouveau costume de cavalerie ; je dois en faire l’éloge : j’admire surtout l’armet à pique, le casque avec sa pointe d’acier sur le sommet.

Voilà qui est chevaleresque, voilà qui sent le romantisme du bon vieux temps, la châtelaine Jeanne de Montfaucon, les barons de Fouqué, Uhland et Tieck.

Cela rappelle si bien le moyen âge avec ses écuyers et ses pages, qui portaient la fidélité dans le cœur et un écu sur le bas du dos.

Cela rappelle les croisades, les tournois, les cours d’amour et le féal servage, et cette époque des croyants sans presse, où les journaux ne paraissaient pas encore.

Oui, oui, le casque me plaît ! il témoigne de l’esprit élevé de S. M. le spirituel roi de Prusse. C’est véritablement une saillie royale ; elle ne manque pas de pointe, grâce à la pique.

Seulement je crains, messires, quand l’orage s’élèvera, que cette pointe n’attire sur votre tête romantique les foudres plébéiennes les plus modernes.

À Aix-la-Chapelle, je revis, à l’hôtel de la poste, l’aigle de Prusse que je déteste tant ; il jetait sur moi des regards furieux.

Ah ! maudit oiseau ! si jamais tu me tombes entre les mains, je t’arracherai les plumes et je te rognerai les serres.

Puis je t’attacherai, dans les airs, au haut d’une perche, en point de mire d’un tir joyeux, et autour de toi j’appellerai les arquebusiers du Rhin.