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Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/254

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Puis la plus petite de toutes s’avança vers moi d’un air mutin et plein de grâce, me fit deux, trois, quatre révérences, et se mit à chanter d’une jolie voix :

« Si le roi me rencontre, je lui fais deux révérences, et, si la reine me rencontre, je lui fais trois révérences.

« Mais, si le diable avec ses cornes passe dans mon chemin, je lui fais deux, trois, quatre révérences, giroflé ! girofla !

« Giroflé ! girofla ! » fut répété en chœur par la petite bande, qui se mit à tournoyer avec espièglerie dans mes jambes tout en chantant.

Pendant que je redescendais à la vallée, le refrain me suivait encore de ses accents éloignés comme un gazouillement d’oiseaux : « Giroflé ! girofla ! »


15

Des blocs gigantesques, difformes et grimaçants m’entourent semblables à des monstres pétrifiés de toute antiquité.

C’est étrange ! des nuées grises flottent au-dessus avec les mêmes formes bizarres, et font comme une contrefaçon vaporeuse de ces sauvages figures de pierre.

Dans le lointain, la cascade mugit, et le vent hurle dans les pins : bruit fatal et impitoyable comme le désespoir !

Lugubres solitudes ! De noires troupes de choucas s’abattent sur des sapins calcinés et pourris, et agitent leurs ailes impuissantes.

Lascaro me suit, toujours pâle et silencieux ; nous ressemblons bien à la vieille gravure d’Albert Dürer, où la Mort en personne accompagne le chevalier de la Démence.

Pays affreux et désolé ! Une malédiction pèse-t-elle sur le sol ? Je crois voir du sang aux racines de cet arbre rabougri et souffreteux.

Il couvre une cabane qui se cache à demi, comme honteuse,