Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/265

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Cette île est cachée au loin, dans l’Océan pacifique de la fantaisie ; on ne peut y aborder que sur le cheval ailé de la Fable.

Jamais le souci n’y a jeté l’ancre, jamais bateau à vapeur n’est venu y jeter sa cargaison de badauds curieux et culottant leurs pipes.

Jamais on n’y entend le triste son des cloches, cet ennuyeux et éternel bimm-boumm que les fées ont tant en horreur.

C’est là qu’au milieu d’une gaieté inaltérable, dans la fleur d’une éternelle jeunesse, réside la fée joyeuse, la blonde dame Habonde.

C’est là qu’elle se promène en riant, à l’ombre des fleurs merveilleuses, avec un cortège jaseur de paladins qu’elle a ravis au monde.

Mais toi, Hérodiade, où es-tu, dis-moi ? Où est ta résidence ? Ah ! je le sais, tu es morte, et ta tombe est à Jérusalem !

Le jour, tu dors, dans ton sépulcre de marbre, l’immobile sommeil des morts ; mais, à minuit, tu te réveilles au bruit du fouet, au chant du cor, aux cris de chasse.

Et tu suis l’ardente cavalcade avec Diane et Habonde et les joyeux chasseurs qui détestent la croix et la pénitence cagote.

Quelle ravissante société ! Ah ! si je pouvais chasser ainsi avec vous à travers bois durant les nuits ? C’est toujours à tes côtés que je chevaucherais, belle Hérodiade !

Car c’est toi que j’aime surtout ! Plus encore que la superbe déesse de la Grèce, plus encore que la riante fée du Nord, je t’aime, toi, la Juive morte !

Oui, je t’aime ! je le sens au tressaillement de mon âme. Aime-moi et sois à moi, belle Hérodiade !

Aime-moi et sois à moi ! jette au loin ton plat sanglant et la tête sotte du saint qui ne sut pas t’apprécier.

Je suis si bien le chevalier qu’il te faut ! Cela m’est bien égal que tu sois morte et même damnée ! Je n’ai pas de préjugés à