LV
En pleurant j’ai rêvé, ma belle,
Que la mort éteignait tes jours ; —
Quand cette vision cruelle
Disparut, je pleurais toujours.
—
En pleurant j’ai rêvé, ma chère,
Que tu trahissais nos amours ; —
Quand l’aube éveilla ma paupière,
Mes pleurs amers coulaient toujours.
—
J’ai rêvé que ta vie entière
Me gardait un cœur sans détours ; —
Mes yeux revoyant la lumière
Pleuraient, pleuraient, pleuraient toujours.
LVI
Chaque nuit je revois tes charmes
Dans un rêve où tu me souris ;
Je tombe à genoux, et mes larmes
Vont arroser tes pieds chéris.
—
Les yeux en pleurs, dans les ténèbres
Secouant l’or de tes cheveux
Tu me tends des bouquets funèbres
Que saisissent mes doigts nerveux.
—
Tu me dis tout bas à l’oreille
Un mot magique ; — ouvrant les yeux,
Je cherche en vain, quand je m’éveille,
Cyprès et mot mystérieux.
LVII
La nuit d’automne pluvieuse
Hurle et mugit sous les autans ;
Où peut bien ma belle anxieuse
Passer ces lugubres instants ?
—
Penchée à la vitre blafarde,
Seule en sa chambre je la vois ;
Dans la nuit sombre elle regarde,
Les yeux mouillés, pâle et sans voix.
LVIII
Dans les grands arbres, froid et sombre,
Le soir d’automne épand sa voix ;
En manteau gris, tout seul dans l’ombre,
Je chevauche à travers le bois,
—
Ma pensée à tout frein rebelle.
Plus gaie et vive qu’un falot,
Vers la demeure de ma belle,
Déjà me précède au galop.
—
Flambeaux en mains, ses gens foisonnent,
Aux abois du chien familier ;
Mes pas éperonnés résonnent
Sur les marches de l’escalier.
—
La chambre tiède et parfumée
Étalé aux lustres ses lampas ;
Là, ma gentille bien-aimée
M’attend… me voici dans ses bras !
—
— Le vent dans les branches se moque,
Le chêne murmure : insensé.
Quel rêve stupide et baroque
Fais-tu là, par ce temps glacé !
LIX
De l’empyrée, où rien ne voile
Son éclat plus pur que le jour,
Je vois, là haut, choir une étoile,
La belle étoile de l’amour.
—
Le pommier en tunique blanche,
Laisse, en pleurant, sur le gazon
S’éparpiller en avalanche,
Au gré du vent, sa floraison.
—
Sur l’étang le cygne timide
Soupire et prend ses doux ébats ;
Il descend dans sa tombe humide,
Chantant tout bas, toujours plus bas
—
Voici la nuit tranquille et sombre.
L’arbre sans fleurs est désolé ;
L’étoile a disparu dans l’ombre,
Le chant du cygne est envolé.