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Henri Heine

INTERMEZZO
LYRIQUE

(Traduit en vers français par Charles BELTJENS)



PROLOGUE




Jadis vivait, morne et silencieux,
Un chevalier au pâle et froid visage ;
Toujours maussade et le cœur anxieux,
Un rêve obscur le hantait sans partage ; —
Et si gauche il était que fillettes et rieurs,
À le voir cheminer, de propos persifleurs
Toujours l’agaçaient au passage.

Seul en un coin tapi dans sa maison,
À tous les yeux se dérobant, farouche,
Tendant les bras, sans rime ni raison.
Jamais un mot ne sortait de sa bouche.
Mais au coup de minuit, d’une étrange façon,
On cognait à sa porte ; — une vague chanson
Soudain l’éveillait de sa couche.

C’est sa maîtresse ; — elle arrive, laissant
Flotter sa robe en blanche mousseline ;
Joyau traîné, son voile éblouissant
Montre son teint de rose purpurine ;
De ses longs cheveux d’or son beau corps entouré,
Il la tient, et, buvant son regard adoré,
Embrasse sa blanche poitrine.

Cœur de bois sec, d’amour émerveillé,
Il est tout feu, comme un tison dans l’âtre ;
Son teint rougit ; ce songeur éveillé
Donne à son rêve une étreinte idolâtre.
Mais la belle, qui veut taquiner son amant,
Jette autour de sa tête, en léger diamant,
Les plis de son voile folâtre.