Page:Heine - Intermezzo lyrique, traduit par Charles Beltjens,1888.djvu/4

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J’ai cru voir sur ta bouche une rose fleurie :
Mais un jour par le temps chaque fleur est flétrie ;
Des plus beaux yeux l’éclat s’éteint :
C’est ainsi que le veut l’implacable destin !


VI


De mes pleurs et des tiens confondons les torrents ;
Et laissons-les couler sur ta joue arrondie ;
Mets ton cœur sur mon cœur, de leurs feux dévorants
Pour qu’un même foyer fasse un seul incendie.

De la flamme et des pleurs quand l’amante et l’amant
Sentiront tressaillir l’union bienheureuse,
Laisse-moi de mes bras t’enlacer… puissamment,
Et mourir de bonheur dans l’étreinte amoureuse !


VII


Dans le lis le plus pur mon âme,
Ivre de bonheur, plongera ;
Soudain la fleur exhalera
Un chant à l’honneur de ma dame.

Je veux qu’il vibre, énamouré
En doux frissons, comme une lyre.
Pareil au baiser, qu’en délire
De ses lèvres j’ai savouré.


VIII


Avec un amour doux et sombre.
Les étoiles, au firmament,
Ont passé des siècles sans nombre
À se regarder fixement.

Elles se parlent un langage,
Plein de charmes impérieux,
Dont nul philologue, je gage,
N’entend le sens mystérieux.

Cette langue aux savants rebelle,
J’en sais pour jamais les écrits :
Le cher visage de ma belle
Fut la grammaire où je l’appris.


IX


Sur mes chants ailés, ma chérie,
Viens-nous-en, je t’emporterai,
Là-bas, vers la terre fleurie
Du Gange, du fleuve sacré.

Un jardin est là, magnifique,
Où le lotus, en sa douceur,
Au clair de lune pacifique,
T’attend pour te dire : ma sœur.

Les violettes fraîche-écloses
Y font aux astres les doux yeux ;
En récits embaumés les roses
Content des faits mystérieux.

Les gazelles, sous la ramure,
L’œil curieux, le pas craintif,
Écoutent le lointain murmure
Du saint fleuve, large et plaintif.

C’est là qu’étendus sous les palmes.
Ivres d’amour silencieux,
Nous nagerons, heureux et calmes.
Dans un rêve délicieux !


X


Le lotus, ami du mystère,
A peur du soleil qui reluit ;
Le front incliné, solitaire,
Il rêve en attendant la nuit.

Voici la lune, son amante,
Qui l’éveille, en le caressant,
Se penche et dévoile, charmante,
Son beau visage efflorescent.

Vers le doux baiser qui l’effleure,
Muet, et d’amour agité,
Il se dresse, il rayonne, il pleure,
Tout parfum et tout volupté.