Page:Heine - Poëmes et légendes, 1861.djvu/233

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je me sentais inondé d’un sentiment de bien-être délicieux.


N’était-ce pas l’air de ma patrie qui frappait ma joue brûlante ! et cette boue de grand chemin, n’était-ce pas la crotte de ma patrie ?

Les chevaux remuaient la queue si affectueusement comme de vieilles connaissances, et ce qu’ils laissaient tomber derrière eux me paraissait beau et odoriférant comme les pommes d’Attalante. La patrie sent toujours bon.

Nous traversâmes Muhlheim ; la ville est jolie, les hommes calmes et laborieux. La dernière fois que j’y vins, c’était au mois de mai 1831.

Alors tout était en fleurs, le soleil souriait ; les oiseaux chantaient avec amour, et les hommes espéraient et pensaient.

Ils pensaient : « Notre maigre noblesse prussienne va bientôt partir, et nous leur verserons le coup de l’étrier avec de longues bouteilles de fer.

« Et la liberté va venir avec les jeux et les danses et le drapeau tricolore. Peut-être réveillera-t-elle, dans la tombe, Napoléon. »

Ah ! Seigneur Dieu ! Les chevaliers prussiens sont toujours au bord du Rhin, et plus d’un de ces pauvres hères, arrivé dans le pays maigre comme une cigogne, a maintenant le ventre rondelet.