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pœuf.

bougie. — Je suivis le jet de lumière qui traîna contre une boiserie ; puis, l’obscurité m’accaparant soudain, je me pelotonnai entre mes draps et, peu à peu, me mis à écouter les bruits épars autour de moi : on chuchotait dans une pièce voisine ; du haut d’un colossal noyer, debout sur notre cour, un oiseau jetait parfois diverses notes saccadées ; les cri-cri exhalaient leur concert nocturne ; et, au fond de sa cuisine, Robert, en train de taper quelque chose, égrenait à pleine voix les couplets d’une chanson créole.

Un éclat bref, dans le bois de mon lit, — je ne sais trop pour quelle cause ! — me rappela brusquement Pœuf ; et je me le représentai en prison, occupé à se curer les dents avec son épinglette de tir, — tel que je l’avais vu à notre porte, les jours où il était de planton. — Il se tenait assis par terre, guêtre, pantalonné de toile bise ; sa tunique était ouverte, sa tunique chevronnée, plaquée d’ancres rouges au collet, de haches rouges sur les manches ; et il pleurait, sa longue barbe poivre et sel en désordre, les yeux tuméfiés ; tandis que l’épinglette fouillait ses moustaches à tort et à travers.


Zi, zi, pan, pan lan pan pan, chantait Robert, d’une voix de stentor, sur un rythme hilare. J’en eus la chair de poule. « Pauvre Pœuf ! » murmurai-je avec un soupir, comme précédemment ma mère ; — et les