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PŒUF.

Ce fut cette même après-soupée que nous échangeâmes nos premiers cadeaux : elle m’octroya deux sous, une pièce de deux sous neuve, et de moi reçut un étui à plumes, un étui en cuivre mince, laqué de rouge, — à la barbe de nos parents.

Sur ces entrefaites, un soir où je rentrais dîner, après m’être croisé avec Marie et sa négresse, — j’étais tout fringant, — mon père annonça :

— C’est demain que le conseil de guerre se réunit pour juger Pœuf.

Je demandai aussitôt :

— Eh bien, qu’est-ce qu’on va lui faire ?

Mais ma mère ayant dit, de son côté :

— Crois-tu qu’il sera condamné à mort ?

Il lui fut déclaré que Pœuf serait d’autant mieux puni qu’on avait été indulgent, l’année précédente, pour un soldat coupable du même crime.

« Pauvre Pœuf ! c’était donc sa faute si… ? »

— Oui, avait répondu mon père.

Il ne plaisantait pas tous les jours.

Et, la nuit terminée, une nuit lente, abominablement chaude, je n’allai point rôder devant la maison de Marie, ne bougeai presque pas de ma chambre, le nez sur de soporifiques lectures. J’étais mal à mon aise, ankylosé, rêveur, l’esprit frappé par cette sentence obtuse qui menaçait un homme dont l’indiscu-