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LE SUPPLICE DE PHÈDRE

fonneries héroïques. Par dévouement à l’insouciance et aux mille gaietés que réclamait d’eux cette jeune tête, l’amertume de leurs âmes se fondait en miel et leurs corps, humiliés d’être encore en vie, se cramponnaient passionnément à leur existence.

Le commandant apparaissait deux ou trois fois l’an. Nulle couleur ne marquait dans les entretiens cet homme adorant son métier, mais retranché dans le silence d’un amant jaloux dès que quelqu’un s’y permettait la moindre allusion. Il revenait tantôt des Indes et tantôt du Cap comme il fût rentré d’une ville d’eaux, pour se faire étourdir de potins vulgaires et déplorer la politique des gens au pouvoir. Encore celle-ci n’était-elle vue que secondairement. Rien n’offrait l’intérêt des alliances bretonnes, ni l’importance des chuchotements courant l’Armorique jusqu’à Saint-Nazaire et Cancale, pour cet esprit si limité dans ses conceptions qu’il ne pouvait chérir la France qu’au prix d’un effort, dépassés les confins de sa péninsule. Lorsque Michel suivait ainsi la chronique locale que lui détaillait son beau-père, son grand nez mince interrogeait, appréciait, notait et donnait seul toute la mesure de ses émotions. Car, de sa bouche, il ne sortait que de rares paroles et ses prunelles fixaient toujours l’interlocuteur sans qu’il en jaillît aucun feu.

Marc ne savait pas s’il l’aimait. Après chacune de ses visites, il l’oubliait presque, puis, par une lettre, on apprenait son retour prochain, et il