Page:Henri Heine, Poésie, 1906.djvu/423

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aliéné toute ma propriété littéraire à de conditions très modestes ; des événements malencontreux ont plus tard englouti le petit pécule que je possédais, et ma maladie ne me permet pas de refaire un peu ma fortune au profit de ma femme. La pension que je tiens de feu mon oncle Salomon Heine, et qui était toujours la base de mon budget, n’est assuré à ma femme qu’en partie. C’est moi-même qui l’ai voulu ainsi. Je ressens à présent les plus grands regrets de n’avoir pas mieux établi l’aisance de ma femme après ma mort. La susdite pension de mon oncle représentait, dans le principe, la rente d’une somme que ce bienfaiteur paternel ne se souciait pas de mettre entre mes mains de poète, inhabiles aux affaires, pour mieux m’en assurer une jouissance durable. Je comptais sur cette dotation lorsque j’unis à mon sort une personne que mon oncle distinguait beaucoup et à laquelle il donnait maint témoignage d’affection. Bien qu’il n’ait rien fait pour elle d’une manière officielle dans ses dispositions testamentaires, il n’en est pas moins à présumer que cet oubli est dû à un hasard fatal plutôt qu’aux sentiments du défunt. Lui, dont la magnificence a enrichi et doté tant de personnes étrangères à sa famille et à son cœur, ne peut pas être accusé d’une lésinerie mesquine, où il s’agissait du sort de l’épouse d’un neveu qui illustrait son nom. Les moindres gestes et paroles d’un homme qui était la générosité même doivent être interprétés comme généreux. Fils digne de son père, mon cousin Charles Heine s’est rencontré avec moi dans ces sentiments, et c’est avec un noble empressement qu’il a obtempéré à ma demande lorsque je l’ai prié de prendre l’engagement formel de payer après mon décès, à ma femme, comme rente viagère, la moitié de la pension qui datait de feu son père. Cette stipulation a eu lieu le 25 février 1847, et je suis encore ému du souvenir des nobles reproches que mon cousin, malgré nos dissentiments d’alors, me fit au sujet de mon peu de confiance en ses sentiments à l’égard de ma femme. Lorsqu’il me tendit la main comme gage de sa promesse, je la pressai contre mes pauvres yeux malades et la mouillai de larmes. Depuis, ma position s’est empirée et ma maladie a fait tarir bien des ressources que j’aurais pu laisser à ma femme ; ces vicissitudes imprévues et d’autres raisons graves me forcent d’avoir de nouveau recours aux sentiments dignes et justes de mon cousin. Je l’engage à ne point amoindrir de la moitié ma susdite pension en la reportant sur ma femme après ma mort, et à la lui payer intégralement telle que je la touchais pendant la vie de mon oncle.

Je dis exprès « telle que je la touchais pendant la vie de mon oncle », parce que depuis presque cinq ans que ma maladie a augmenté de gravité, mon cousin Charles Heine a, de fait plus que doublé la somme de ma pension, attention généreuse pour