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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

passer pour une chaise, les deux bras ayant disparu dans une circonstance que je n’ai pas à faire connaitre.

« Pardieu ! dit Fritz, que viens-tu faire ici ?

— Te proposer un voyage. »

Fritz bondit.

Il faut vous dire que Fritz est l’être le plus casanier que porte l’univers. Parlez-lui de quitter sa chambre, il vous rudoiera ; il vous assommera, si vous prononcez devant lui un nom géographique quelconque.

Aussi me hâtai-je de continuer mon discours en ces termes :

« Si tu refuses de m’accompagner, parle. Tu ne refuseras pas de me prêter ton canot. »

Fritz a un canot, un superbe canot bleu et vert, orné d’avirons jaunes et de bancs couleur chandelle fumeuse. L’un des motifs de sa retraite à Charenton fut le désir d’économiser quelque argent pour l’achat de ce meuble ambitionné.

« Que diable veux-tu faire de mon canot ? dit-il, tu ignores la manœuvre. »

En prononçant ces mots, Fritz me regarda dédaigneusement et fit un mouvement d’épaule fort significatif.

Je m’inclinai devant la supériorité que possède relativement à tous les mortels un vrai canotier parisien, et je répondis humblement :

« J’avoue que ma science est loin d’égaler la tienne. Je nage peu, je rame mal, et je suis incapable de virer de bord avec précision. Aussi, à ton défaut, je compte réclamer le secours d’un paysan ou d’un pêcheur des environs. J’ai connu un vaste projet. »

La pipe de Fritz était finie ; il la posa sur la cheminée, fit claquer sa langue contre son palais, but un grand verre d’eau et parut m’écouter,