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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

Est-il matériellement nécessaire de vivre ?

Non, puisque nous pouvons nous tuer.

Votre raison doit donc être puisée dans le domaine moral.

Or, quelle est la raison morale qui puisse vous décider à vivre ?

Est-ce la jouissance que nous trouvons dans l’existence ? Mais de deux choses l’une : ou les plaisirs de la vie sont réels, et les peines que vous vous donnez pour vivre vous empêchent d’en goûter aucun ; ou ils sont faux, et dans ce cas pourquoi y tenez-vous ?

Serait-ce que la seule respiration est un bonheur ? L’unique sensation de l’être serait-elle si désirable, que, selon les pères de l’Église, il vaudrait mieux vivre damné que de ne pas vivre ? D’où vient alors que le sommeil est un plaisir ? N’est-ce pas un état où nous n’avons plus conscience de notre vie ? Et cependant le pauvre, après un labeur de quatorze heures, n’aspire qu’au repos du lit. Ce lit représente pour lui sa dose de bonheur terrestre.

Il ne reste qu’un seul motif à alléguer, la volonté de Dieu qui nous a donné la vie, et qui seul peut et doit nous l’ôter. Très-bien ; je ne fais pas l’apologie du suicide, et ne vous le conseillerai jamais. Mais si Dieu vous a défendu de vous tuer, il a dû vous donner le moyen de vivre : autrement il serait injuste. Pourquoi donc vous inquiéter de chercher ces moyens, et ne pas vous fier à la parole du Christ, qui conseillait à ses disciples d’imiter les oiseaux et les lis, qui ne travaillaient point, et qui trouvaient partout leur nourriture et leurs plus beaux vêtements ?

Moi, je crois, voyez-vous, que la seule passion qui pousse l’homme à vivre est la gourmandise.