Page:Henri Maret Le tour du monde parisien 1862.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

141
LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

Les dieux lares, dont j’ai parlé dans le chapitre précédent, se dressaient sur la table, au coin du feu.

C’étaient : d’abord un gigantesque pâté, dont, à la clarté d’une chandelle fumeuse, je ne pus distinguer le contenu ; puis une salade immense dans un saladier impossible, un pain de quatre livres, douze sardines, trois livres de gruyère, enfin quatre litres de vin, flanquant les quatre coins de la table.

Fritz et moi levâmes les mains au ciel en signe d’allégresse. Le vin surtout fit circuler dans mes veines une joie délirante, et son aspect m’étonna singulièrement.

À voir le port de Bercy, encombré nuit et jour de tonneaux cerclés, fermés, mesurés, rangés, prêts à partir, et se reposant entre deux trajets et un grand nombre de douaniers, je m’étais figuré qu’il était impossible de trouver dans ce pays une seule bouteille de vin.

Dans mes voyages, j’ai fait une remarque étrange : c’est que dans tous les endroits de la terre renommés par une production quelconque, il est impossible, à aucun prix, de se procurer cette production. À Troyes, j’avais réclamé des andouillettes, et l’on m’avait ri au nez ; à Strasbourg, ce célèbre domicile des pâtés, les charcutiers avaient été unanimes à me répondre le matin : Nous n’en avons pas encore… le soir : Nous n’en avons plus. Les plus petits pruneaux que j’aie mangés sont ceux de Tours ; quant au liquide, Dieu sait quels gémissements j’ai poussés, en humant à Bordeaux du vin du Cher, et à Châlons une excellente liqueur, couleur de rubis, née certainement en Bourgogne.

Vous comprenez donc qu’à Bercy, qui, à la vérité, ne pro-