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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

blouse et sans casquette. Tous entretenaient une conversation variée et semblaient parfaitement décidés à passer la nuit dans l’établissement. Quelques-uns jetaient sur nous des regards de côté, torvos oculos, que nous attribuions généreusement à l’effet produit par nos paletots. La blouse et le paletot ont de tout temps nourri une haine que leur présence réciproque envenime ; ils sont le chien et le chat des vêtements.

Cette fois cependant il s’agissait de tout autre chose. Nous avons dit, il est vrai, que les gens susdits ne portaient pas même une blouse.

« Sacrebleu ! il faut que ça finisse, dit l’un d’eux à son voisin, mais d’une voix assez haute pour être entendu de tout monde.

— J’y vais, » dit le voisin, et il se leva.

Il s’approcha de l’aubergiste, et tous deux se parlèrent à voix basse. Nous pûmes remarquer qu’une pâleur effrayante envahit le visage empourpré du cabaretier et le fit passer soudain au rose le plus tendre, le résultat du blanc mêlé avec du rouge étant incontestablement le rose. Je ne sais cependant par quelle association de couleurs, du rose tendre la face passa au lilas foncé, puis du lilas foncé au vert bouteille. Là, elle s’arrêta.

« Et moi, murmura le digne homme, et moi qui leur ai parlé du pâté ! »

Cette exclamation révélait une si inconcevable douleur, que nous nous mîmes à frémir de la plante des pieds à la racine des cheveux. Il n’y avait pas à en douter, le mot leur signifiait : nous ; le regard de l’aubergiste fut garant de sa pensée, Mais qu’exprimait cet amer regret ? En quoi avions-nous pu démériter de sa confiance ? Il y avait certainement là quelque chose de mystérieux.