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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

réflexions, le bateau a volé, et j’ai perdu plus d’un coup d’œil. Nous avons côtoyé l’île Saint-Louis, cette redoute du rentier parisien, cette ville de province tombée, on ne sait d’où, au milieu de la grande ville. Autrefois ce que les romans de Paul de Kock appellent le Marais s’étendait beaucoup plus loin ; le quartier Saint-Antoine, la rue Saint-Louis, placés immédiatement au nord de la Seine, faisaient partie de l’empire laissé aux bourgeois fainéants. Par fainéants, j’entends : qui ne vivent pas de la vie sociale ; en des temps aussi processifs que les nôtres, on ne saurait trop peser ses expressions, on ne saurait trop expliquer sa pensée. Je sais plus d’un petit rentier qui, froissé de ce mot, m’eût accusé d’avoir prétendu que sa chambre n’était jamais faite, et qu’il y avait de la poussière sur sa commode. Ne m’a-t-on pas traîné devant un tribunal sous prétexte d’outrage à la littérature et au commerce, parce que j’avais eu l’audace d’affirmer ces deux choses :

1o Que j’avais vu boire dans un café ;

2o Que je n’y avais trouvé ni plume, ni encre, ni gens de lettres occupés à écrire.)

J’ai fermé la parenthèse. Aujourd’hui l’industrie et le commerce ont gagné du terrain. Ces deux maîtres de l’univers ont refoulé la bourgeoisie pure dans son île, où les exilés se consolent entre eux, et s’efforcent de fortifier leur antique asile contre les attaques du dehors.

Hélas ! ce sera en vain. La conquête en sera pacifique. Un de ces jours, cette nouvelle principauté de Monaco sera achetée quelques millions, et nous verrons tomber ces vieilles demeures, tandis que leurs infortunés habitants iront mendier sous d’autres cieux les tranquilles soirées, les commérages charmants, les petites médisances entre une demi-tasse lentement savourée et la lecture du Constitutionnel, en un mot toutes ces douceurs du calme et de l’intimité, désormais