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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

par ces mots : j’y vais, d’ordinaire ainsi estropiés et périphrasés d’une voix goguenarde :

« J’irais ben… murmurait-il, mais j’perdrais ben aussi.»

Puis, après une mûre et attentive réflexion : « Tais, j’y vas, »

La mise en scène était à peu près invariable, le père Souriceau y allant toujours et faisant précéder sa détermination d’un petit speech, destiné à la plus grande édification de ses trois auditeurs.

Ce discours terminé, la partie s’engageait sérieuse. Le père Souriceau perdait avec une constance inébranlable, et c’était toujours avec la même ironie amère que cette victime du destin s’écriait, en posant ses cartes sur la table :

« J’vous l’avais ben dit ! »

Et il se renversait sur son fauteuil, dilatant son énorme face où se disputaient le chagrin de la perte et la joie de la prédiction.

Or, pourquoi le père Souriceau perdait-il toujours ?

Il ne le savait pas, il ne le sait pas encore, il ne le saura jamais.

À moins qu’il ne lise ce livre où je l’enseigne à la postérité.

Le père Souriceau était trop bavard. Son jeu étalé dans sa main, il le regardait avec amour et douleur ; puis, d’une voix vibrante, et tout en croyant parler bas :

« Si je jette mon valet, il jettera son roi, mon dix, il me le prend avec sa dame. Bouh ! j’ai mon neuf, et l’as de cœur est bon. Tais, je le joue, »

Et le brave homme lançait son valet ; et tandis que ses amis riaient, qui l’eût bien étonné ? ce fût celui qui eût dit connaître la composition de ses cartes, de la première à la dernière.