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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

De ceux-ci, il a pour deux sous le cahier de chansons ; de ceux-là, la mauvaise gravure coloriée dont il orne sa mansarde, L’un chante ce Juif-Errant dont l’autre peint la barbe rousse, l’habit vert et les souliers pointus. Et c’est en vain que la librairie à bon marché, et c’est en vain que la lithographie, mettront dans les mains populaires des romans de Dumas ou des copies de Decamps : le peuple, le vrai peuple préférera toujours les œuvres, à lui seul destinées, de ses poètes et de ses artistes.

Quelle nation à part que celle-là ! Quelles mœurs à sonder ! Quelle histoire à écrire !

Que sont les grotesques de la bohème à côté de ces grotesques du haillon ? Eux aussi ont une gloire, une vie à eux ; leurs habitudes ne sont pas celles de leur public ; leur public aussi les admire de bonne foi. Leurs ouvrages, adressés aux prolétaires, dont ils sont l’âme, donnent aussi à ces autres prolétaires une réputation, une renommée. Ils la cherchent, ils l’obtiennent, ils en vivent. Quelle vie !

Mais ne riez pas de leur ambition. J’ai vu l’applaudissement d’un gamin de Paris donner de la joie à un bien grand homme.

Certes, ce n’est pas là de la littérature, ce n’est pas là de la poésie, ce n’est pas là de l’art ; mais, de quelque côté qu’on regarde, c’est autre chose que l’état du manœuvre ; et ceux qui font ce je ne sais quoi forment une classe à part dans la société, une classe trop ignorée.

Donc, je pris mon premier voisin pour un de ces hommes-là.

Quant à l’autre, c’était évidemment le garçon d’un riche marchand de vin. On sait que le nom de garçon s’applique universellement à ces estimables messieurs qui servent dans les boutiques, quels que soient d’ailleurs leur âge et leur po-