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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

Je sus donc :

1o Que le nommé Jacques Bornéo, signataire d’une grande quantité de vers inscrits sur le mur, doit être considéré comme le premier poète de France… après Béranger, bien entendu ; mais ce pauvre Béranger est mort ;

2o Que, dans les premiers cafés de Paris, cette même eau sale, dans laquelle je ne trempai point mes lèvres, m’était fournie au prix de 45 centimes le verre, au lieu de 10 centimes, somme que me coûta mon excursion au Lapin-Blanc. Madame Flavie craignait même que ladite liqueur n’y fût de qualité inférieure, et qu’on n’y mêlât quelque drogue nuisible aux estomacs délicats ;

3o Qu’elle, madame Flavie, se prenait pour la propre fille d’un colonel de la garde impériale, lequel, parent de l’empereur d’Autriche, avait, avant de rendre le dernier soupir, uni par les liens du mariage son enfant illégitime avec le propriétaire de la taverne sus-indiquée.

Sur quoi je demandai des nouvelles du propriétaire.

À cette interrogation flatteuse, madame Flavie s’assit à ma droite, par je ne sais quel moyen, et se prépara à me réciter le premier chapitre de ses mémoires. Un seul instant me suffit pour reconnaître, en madame Flavie, une femme nourrie de nos meilleurs auteurs contemporains, et digne en tout point de voler, sur leurs traces, à la célébrité… le genre de publication, appelé mémoires, commençant, comme l’on sait, par les plus violentes diatribes à l’adresse du mari, de la femme, des parents, des amis, en un mot, de toutes les personnes qu’on a pu connaître, et finissant (ceci sans exception) par le plus naïf éloge de soi-même et des actions de son existence… éloge et blâme, qui, soit dit en passant, embarrassent souvent le lecteur, ne sachant où prendre les bourreaux dans cette collection de martyrs.