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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

soit qu’une balle ait pénétré dans la jambe, soit qu’un éclat d’obus ait emporté le bras.

— C’est bien extraordinaire, dit Fritz ; mais, en y réfléchissant, cela prouve tout simplement…

— Qu’il y a une attraction singulière exercée par les membres sur le fer, reprit l’homme sérieux, attraction qui, je ne sais par quel motif, cesse aux environs de la poitrine. Mais je découvrirai ce motif, et peut-être suis-je sur la voie.

— Il me semble, murmura Fritz, que, les blessures à la poitrine étant généralement mortelles, il n’est pas étonnant que les vivants y soient moins sujets qu’aux autres. »

Jonathan le regarda avec dédain.

Puis, se tournant vers moi :

« Qu’en pense monsieur ? dit-il.

— Monsieur écrit, répondis-je, en mettant la dernière main à mon griffonnage, et étendant sur le papier le trait final. »

Alors, comme depuis quelques instants je lisais l’inquiétude peinte distinctement sur ses traits :

« C’est une fantaisie sans importance, lui dis-je, où il n’est question de rien de sérieux. »

Son front se rasséréna ; ce ne pouvait être son portrait.

Une autre particularité de l’homme grave, c’est qu’il a parfois assez de conscience de sa faible valeur, pour comprendre qu’il peut servir de thème à la raillerie. Il affecte de mépriser la satire ; mais j’ai remarqué qu’il la redoute tout spécialement, comme une atteinte à sa dignité. D’ailleurs le fond de son caractère est la légèreté, et bientôt il se réconcilie avec lui-même ; un mot suffit pour le convaincre qu’il n’y a point de plume assez hardie pour oser l’attaquer en public.

« Je ne me souviens pas d’avoir lu aucune de vos œuvres, dit-il.

— Celle-ci est à votre disposition, » répliquai-je poliment ;