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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

suis livré au commerce, et, tandis que tu égorgeais pacifiquement, pacifiquement aussi je trompais mon prochain. J’ai respecté mon livre, comme toi ta consigne, et la loi humaine fut aussi mon Christ, J’ai pris les biens, toi les vies. S’il était quelque mal en tout cela, il pèserait plus sur ta tête que sur la mienne. Tu n’as jamais pensé ; je n’ai nourri aucune idée. Esclave, tu as pu servir à rendre tes concitoyens esclaves ; homme d’affaires, j’ai pu embrouiller celles d’autrui ; j’ai pu aussi contribuer à l’élévation de la richesse publique. Qu’as-tu laissé après toi ? Des pays rendus stériles par Le pied de ton cheval, des peuples opprimés, des souvenirs cruels, le désespoir des mères, et des cadavres qui ne revivront pas ; l’État que tu n’as pas pillé ne t’en conservera aucune gratitude, et voilà que tes enfants, ruinés, réduits à la dernière misère, ont chargé ton nom de leurs malédictions, en demandant l’aumône à mes neveux. La gloire de l’homme intègre, ce sont les imprécations de ses fils. Pour moi, j’ai vécu, et ma mémoire, chargée de bénédictions, monte comme un parfum plus haut, toujours plus haut dans l’espace. Les miens, à qui j’ai laissé la fortune, en seront plus purs et plus heureux ; plus purs, ils prieront pour moi ; plus heureux, ils seront bons, et le bien d’un grand nombre d’hommes sortira du mal léger que je me suis permis. Vaut-il mieux que le bien jaillisse du mal ? Vaut-il mieux, comme tu l’as cru, que le mal jaillisse du bien ?

dieu le père.

Cet homme soulève une question complexe ; et je serais moi-même embarrassé d’y répondre. À ton avis, Pierre, que dois-je décider touchant ces deux âmes ?