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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

silence. Il avait très-mal lu : les hommes sérieux lisent très-mal.

Mon regard l’interrogea ; il retira ses lunettes.

« Il m’est pénible d’avouer, dit-il…

— Que cette œuvre, interrompis-je, est blasphématoire et impie. Je lis cette pensée dans vos yeux. Et qu’est-ce que l’impiété, s’il vous plaît ? »

Il ne me répondit pas.

« Je crois, dis-je, qu’il y a deux sortes d’impiété, celle de l’hypocrite, celle de l’homme franc. La première est la plus généralement répandue ; elle inspire nos gazettes et nos théâtres. Les unes poursuivent la ruine des ministres du ciel, tout en déclarant leur existence nécessaire au repos de l’humanité ; ouvriers corrompus, nous voyons leurs rédacteurs traîner des chariots de granit, de marbre et de porphyre, et, criant à l’univers qu’ils travaillent à rebâtir l’édifice, démolir d’une pioche honteuse ce qui reste du sanctuaire mutilé. Les autres mettent la moralité dans la bouche des courtisanes, et ne songent pas que la vertu et le devoir, exaltés en phrases pompeuses, nous paraissent ainsi comme un clinquant menteur, au travers duquel nous voyons s’agiter des formes nues sur des tapis souillés. Le boudoir d’une impudique est un étrange lieu pour un prêche. En vain nos auteurs y sonnent l’heure de la prière : leurs cloches sont fêlées, et depuis longtemps Gargantua s’est fait une boucle d’oreille du véritable tocsin. Peut-être ces gens-là ont-ils de bonnes intentions ; leur conduite n’en est pas moins entachée des marques de l’impiété hypocrite. Oublier Dieu, c’est bâtir sur le sable, et mieux vaudrait ne pas bâtir du tout.

« L’impiété de l’homme franc, c’est le sourire du poète, c’est l’étude philosophique et sincère, c’est le scepticisme du débauché, c’est le désespoir du malheureux. Toutes ces im-