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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

En ce moment passe un régiment d’infanterie, tambour et musique en tête. Les soldats sont en costume de guerre, et leur front ruisselle de sueur.

— Grande nouvelle ! dit un monsieur qui monte rapidement et s’assied parmi nous. Encore une victoire : 5,000 prisonniers. C’est affiché à la Bourse.

— Avez-vous des détails, monsieur ?

— Pas encore ; mais ce doit être magnifique.

Murmure sourd d’un grand bonhomme, maigre comme un clou et blond comme une couverture Charpentier. Ce doit être un Allemand.

L’entretien est général. C’est un bruit à n’y plus tenir. J’enfonce la tête dans les épaules, et je songe.

Je songe aux pauvres mères qui pleurent, aux sœurs et aux épouses qui se lamentent ; je songe à ces milliers d’hommes que le hasard exile de leur patrie, et dont plusieurs ne reverront jamais leur foyer. Et je me dis que la guerre est impie, et que Dieu réserve ses foudres pour les despotes qui l’entreprennent.

Vous le voyez, lecteur, je suis sujet aux pensées tristes ; elles me viennent comme cela, sans raison, au moment où je m’y attends le moins, et sans que je sache jamais pourquoi. Cette fois, je les attribue au mouvement de la voiture.

Car, et poursuivre la même question, n’est-ce donc rien que la gloire ? peu de chose en vérité. Mais l’indépendance… La famille n’a-t-elle pas rang avant l’individu, la patrie avant la famille ? Et qu’importe que vingt mille hommes meurent, si le sang de ces hommes, frappés par leurs frères, engraisse le sol où il coule, et y fait germer la paix et le bonheur ?