Page:Henri Maret Le tour du monde parisien 1862.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

59
LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

d’un violoncelle, et, l’archet à la main, il commença à tirer des sons aigres et discordants, parmi lesquels je pus distinguer des réminiscences du quadrille des Lanciers. Je me hâtai de lui offrir dix centimes, résolu à couvrir d’or son silence, mais il ne comprit pas, et crut voir dans cette offre, qu’il accepta d’ailleurs, un témoignage de mon contentement. Il sourit, et frotta avec plus de force les crins de son archet sur les cordes de sa viole… avec tant de force qu’il couvrit le bruit des conversations particulières. De tous côtés lui arrivèrent des gros sous, je ne sais dans quel but envoyés ; toujours est-il que le quadrille des Lanciers prit une telle extension que je saisis ma tête des deux mains pour ne plus entendre et me plongeai dans les plus amères réflexions.

Il y a des airs qui portent avec eux je ne sais quelle haleine de bonheur ; il en est d’autres, même parmi les chansons les plus vulgaires, dont les sons réveillent dans l’âme la mélancolie et l’amertume. Le plus souvent ces effets-là tiennent au souvenir ; quelquefois pourtant ils viennent d’eux-mêmes, à la première audition du morceau, soit pressentiments de douleur ou de joie, soit purs caprices de l’imagination. Et ne croyez pas que l’intention du compositeur y soit pour quelque chose ; souvent, c’est l’air d’un vaudeville qui vous attriste ; c’est un morceau dramatique qui vous fait sourire. Il y a dans la musique une puissance mystérieuse, inconnue des musiciens mèmes : comme la Divinité, elle cache ses secrets aux prêtres,

Dans l’air des Lanciers, je ne connais rien que de fort vulgaire ; je ne sache pas qu’il soit possible de fixer sérieusement son attention sur une seule mesure. Comment se fait-il que