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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

je n’aie jamais pu entendre la ritournelle de ce quadrille sans me sentir besoin de verser des larmes ? Est-ce à un vice de ma constitution que je dois cette sensibilité relative, sensibilité d’autant plus sotte qu’elle n’a pas besoin pour naître des accords parfaits d’un orchestre : un orgue de Barbarie, la viole du petit bossu, c’est assez. Il me suffit de saisir au passage la plus légère réminiscence de cet air pour que l’effet soit produit. Je deviens sombre, mélancolique ; j’en ai parfois pour tout un jour.

J’appelle ces sortes de morceaux, qu’ils enfantent tristesse ou gaieté, airs sympathiques ; les autres, airs indifférents. Il n’y a d’antipathie en musique que pour les sons faux.

L’homme a généralement peu d’airs sympathiques ; ceux-là même qu’il admire le plus peuvent lui être et lui sont le plus souvent indifférents. Ce n’est pas la corde du cœur que leur mélodie fait vibrer ; le goût seul est atteint, le goût qui réside au cerveau, et n’eut jamais rien de commun avec le sentiment,

Y a-t-il un magnétisme dans les sons comme il y en a un dans les êtres ?

Et si le fluide est partout, dans les notes d’un piano aussi bien que dans les pieds d’une table, qui sait où cette connaissance première mènera le progrès humain ?

Peut-être s’apercevra-t-on un jour, comme l’idée en était venue au roi Saül, que les accords, l’harmonie, peuvent être pour les maux de l’âme des remèdes ou des poisons… Alors il se créera une médecine morale qu’on pourra nommer la science des concerts, et qui aura ses professeurs, ses adeptes, ses malades ; l’imagination, cette fée bienfaisante, guérira l’un de ces derniers, et nous jouirons d’une académie de plus,