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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

« Mon cher, si tu es jaloux, n’amène point ta maîtresse au bal ; souviens-toi de de Maistre, cet observateur délicat : Au moment où la parure commence, a-t-il dit, l’amant n’est plus qu’un mari et le bal seul devient l’amant. Prends ton rôle au sérieux, mon ami ; un mari n’est qu’un guide donné par la municipalité : bois du punch, sors, va fumer, fais la cour à d’autres femmes ; mais, pour Dieu, ne t’occupe pas de ta maîtresse, elle te reviendra demain. La femme est un oiseau bavard et curieux qui se laisse attirer par tout ce qui brille, la jalousie n’est pas glu pour prendre ces moineaux.

— Il y a deux heures qu’elle est arrivée, et pas un mot.

— Il y en a trois que je suis ici ; la mienne ne m’a pas adressé un regard ; en revanche, considère ce sourire gracieux ; n’est-il pas à l’adresse de ce beau lionceau qui danse ; oh ! je suis bien tranquille, — dans cinq minutes elle aura changé de vis-à-vis, mais il n’y aura pas une dent de moins à son sourire. Me suis-tu ?

Je sors de la salle de bal : me voici au café ; je me vois devant une table chargée de verres et de tasses ; c’est au coin à gauche, au-dessous du tableau de billard. L’estaminet est plein, tous ces gens-là fument, rient, sont joyeux. Adrien est près de moi. — Nos habits de bal sont bizarres au milieu de ces vêtements négligés. Nous buvons, nous jouons ; c’est effrayant, le calme ne me revient pas ; malgré toutes nos plaisanteries, je suis inquiet, troublé, je pense à tout autre chose, et je ne sais comment je fais pour répondre.

Elle, toujours elle ! que fait-elle en ce moment ? m’oublie-t-elle bien ? a-t-elle autant de joie au cœur depuis que j’ai disparu des salons ? à travers ces plaisirs ne s’arrête-t-elle pas parfois pour jeter à l’absent l’aumône d’une pensée ? ne porte-t-elle pas son œil noir dans la salle, et ne