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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

Le véritable aristocrate au temps où nous vivons, c’est le peuple.

Le peuple appelle fainéants tous ceux dont les mains ne sont pas calleuses et durcies par un travail matériel.

Le peuple, ignorant, flatté par tous les ambitieux, excité dans ses passions, enflammé dans son envie, se souvient qu’il fut roi, qu’il eut une cour, des esclaves et point de maître ; comme tous les souverains tombés, il rugit, et se montre d’autant plus fier qu’il se croit plus déplacé.

Y a-t-il eu une comédie plus risible que cette république de 1848, durant laquelle, s’il voulait être accepté, élu par ce peuple, l’homme de talent devait parler son langage, subir ses volontés brutales, et dans son impuissance à l’élever jusqu’à lui, s’abaisser jusqu’à une similitude infâme ?

Pauvre peuple !

À nous de le plaindre, car ce n’est pas sa faute, s’il est ignorant et s’il prend son ignorance pour une supériorité.

Quand vous passez dans la rue avec votre habit noir, le costume soigné, vos gants frais, pauvre jeune homme que vous êtes, dont tout l’avenir dépend d’une visite, et qui n’avez pas assez d’argent pour monter dans un fiacre, le maçon stupide qui marche près de vous répand, en vous accostant, toute sa poussière blanche sur vos vêtements noirs ; le cocher roule sa voiture dans le ruisseau pour vous couvrir de boue ; l’égoutteur essuie ses mains sur vos bras ; et tout ce vulgaire envieux vous laisse désespéré et se sauve impuni.

Et cependant ces gens-là ont parfois fait un crime.

Ces gens-là, — et que cela paraisse un paradoxe, il y a de semblables paradoxes qui sont des vérités, — ces gens-là sont des riches, qui viennent d’insulter un pauvre !

Ils vont souper avec leur femme et leurs enfants, et le pauvre, qui n’a peut-être pas assez pour payer un décrotteur,