— Les contrôleurs, continua-t-il d’une voix sombre.
— Que vous ont-ils fait ? demandai-je.
— Savez-vous, monsieur, que je travaille depuis sept heures du matin ?
— Je l’ignorais, mon brave ; mais puisque vous me le dites…
— Et ça pour le roi de Prusse.
— Je savais que la Prusse n’était pas douée d’intentions bienveillantes à notre égard, mais j’ignorais, je l’avoue, que son souverain eût eu l’idée de soudoyer les cochers d’omnibus.
Le cocher me lança un coup d’œil ironique.
— Monsieur ne comprend-il pas, me dit-il, en pinçant les lèvres par pitié pour mon inintelligence, monsieur ne sait-il pas qu’on me retient mes appointements de la journée ?
— Oserai-je vous demander pourquoi ?
— Est-ce que je sais, répondit-il d’un ton méprisant : j’en écrirai au préfet de police. Voilà trois fois qu’ils me mettent à l’amende pour arriver dix minutes en retard : ça ne peut pas durer !
Il jeta les yeux sur l’impériale pour y rencontrer un geste d’assentiment ; puis il prit son fouet, frappa ses chevaux, et se tournant vers la gauche, où se trouvait un ouvrier en blouse :
« C’est des bourgeois ! » dit-il.
Et il haussa les épaules.
Le mot de bourgeois implique dans la bouche de l’ouvrier un aussi violent dédain pour l’homme à qui le mot s’adresse que celui d’ouvrier sur les lèvres du bourgeois : que dis-je ? un dédain cent fois plus grand.