Page:Henri Poincaré - Calcul des probabilités, 1912.djvu/24

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18 INTRODUCTION. devenu plus uniforme, que toutes les choses se seront mélangées plus encore. Mais alors, sans doute, les hommes ne pourront plus vivre et devront faire place à d'autres êtres; dois-je dire beaucoup plus petits ou beaucoup plus grands? De sorte que notre critérium, restant vrai pour tous les hommes, conserve un sens objectif. Et que veut dire, d'autre part, le mot très complexe? J'ai déjà donné une solution, et c'est celle que j'ai rappelée au début de ce paragraphe, mais il y en a d'autres. Les causes complexes, nous l'avons dit, produisent un mélange de plus en plus intime, mais au bout de combien de temps ce mélange nous satisfera-t -il? Quand aura-t-on accumulé assez de complications? Quand aura-t-on suffisamment battu les cartes ? Si nous mélangeons deux poudres, l'une bleue, l'autre blanche, il arrive un moment où la teinte du mélange nous paraît uniforme; c'est à cause de l'infirmité de nos sens; elle sera uniforme pour le presbyte qui est obligé de regarder de loin, quand elle ne le sera pas encore pour le myope. Et quand elle le sera devenue pour toutes les vues, on pourra encore reculer la limite par l'emploi des instru- ments. Il n'y a pas de chance pour qu'aucun homme dis- cerne jamais la variété infinie qui, si la théorie cinétique est vraie, se dissimule sous l'apparence uniforme d'un gaz. Et, cependant, si l'on adopte les idées de Gouy sur le mouve- ment brownien, le microscope ne semble-t-il pas sur le point de nous montrer quelque chose d'analogue ? Ce nouveau critérium est donc relatif comme le premier, et, s'il conserve un caractère objectif, c'est parce que tous les hommes ont à peu près les mêmes sens, que la puissance de leurs instruments est limitée et qu'ils ne s'en servent d'ailleurs qu'exceptionnellement.