Page:Henri Poincaré - Calcul des probabilités, 1912.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

irrégulièrement, c’est-à-dire au hasard. Les lois observables seraient beaucoup moins simples, diront tous les physiciens, si les vitesses étaient réglées par quelque loi élémentaire simple, si les molécules étaient, comme on dit, organisées, si elles obéissaient à quelque discipline. C’est grâce au hasard, c’est-à-dire grâce à notre ignorance, que nous pouvons conclure ; et alors si le mot hasard est tout simplement un synonyme d’ignorance, qu’est-ce que cela veut dire ? Faut-il donc traduire comme il suit ?

« Vous me demandez de vous prédire les phénomènes qui vont se produire. Si, par malheur, je connaissais les lois de ces phénomènes, je ne pourrais y arriver que par des calculs inextricables et je devrais renoncer à vous répondre ; mais, comme j’ai la chance de les ignorer, je vais vous répondre tout de suite. Et, ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est, que ma réponse sera juste. »

Il faut donc bien que le hasard soit autre chose que le nom que nous donnons à notre ignorance, que parmi les phénomènes dont nous ignorons les causes, nous devions distinguer les phénomènes fortuits, sur lesquels le calcul des probabilités nous renseignera provisoirement, et ceux qui ne sont pas fortuits et sur lesquels nous ne pouvons rien dire, tant que nous n’aurons pas déterminé les lois qui les régissent. Et pour les phénomènes fortuits eux-mêmes, il est clair que les renseignements que nous fournit le calcul des probabilités ne cesseront pas d’être vrais le jour où ces phénomènes seront mieux connus.

Le directeur d’une compagnie d’assurances sur la vie ignore quand mourra chacun de ses assurés, mais il compte sur le calcul des probabilités et sur la loi des grands nombres et il ne se trompe pas, puisqu’il distribue des dividendes à ses actionnaires. Ces dividendes ne s’évanouiraient pas si