Page:Henri Poincaré - Dernières pensées, 1920.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un théorème qui ne comporte aucune conclusion vérifiable a-t-il un sens ? ou plus généralement un théorème quelconque a-t-il un sens en dehors des vérifications qu'il comporte ? C'est ici que les mathématiciens diffèrent. Ceux de la première école, ceux que j'appellerai les Pragmatistes (puisqu'il faut bien leur donner un nom) répondent non, et quand on leur apporte un théorème sans leur donner un moyen de le vérifier, ils n'y voient que de la bouillie pour les chats. Ils ne veulent envisager que des objets qui peuvent être définis en un nombre fini de mots ; quand dans un raisonnement on leur parle d'un objet satisfaisant à certaines conditions, ils sous-entendent un objet qui satisfait à ces conditions quels que soient d'ailleurs les mots dont on se servira pour achever de le définir, pourvu que ces mots soient en nombre fini.

Ceux de l'autre école, que j'appellerai, pour abréger, les Cantoriens, ne veulent pas admettre cela ; un homme, quelque bavard qu'il soit, ne prononcera jamais dans sa vie plus d'un milliard de mots ; et alors allons-nous exclure de la Science les objets dont la définition contient un milliard et un mots ? et si nous ne les excluons pas, pourquoi exclurions-nous ceux qui ne peuvent être définis que par une infinité de mots, puisque la construction des uns est comme celle des autres au-dessus de la portée de l’humanité ?