Page:Henri Poincaré - Dernières pensées, 1920.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de bien raisonner sur des figures mal faites. Ce n’est pas là une boutade, c’est une vérité qui mérite qu’on y réfléchisse. Mais qu’est-ce qu’une figure mal faite ? c’est celle que peut exécuter le dessinateur maladroit dont nous parlions tout à l’heure ; il altère les proportions plus ou moins grossièrement ; ses lignes droites ont des zigzags inquiétants ; ses cercles présentent des bosses disgracieuses ; tout cela ne fait rien, cela ne troublera nullement le géomètre, cela ne l’empêchera pas de bien raisonner.

Mais il ne faut pas que l’artiste inexpérimenté représente une courbe fermée par une courbe ouverte, trois lignes qui se coupent en un même point par trois lignes qui n’aient aucun point commun, une surface trouée par une surface sans trou. Alors on ne pourrait plus se servir de sa figure et le raisonnement deviendrait impossible. L’intuition n’aurait pas été gênée par les défauts de dessin qui n’intéressaient que la géométrie métrique ou projective ; elle deviendra impossible dès que ces défauts se rapporteront à l’Analysis Situs.

Cette observation très simple nous montre le véritable rôle de l’intuition géométrique ; c’est pour favoriser cette intuition que le géomètre a besoin de dessiner des figures, ou tout au moins de se les représenter mentalement. Or, s’il fait bon marché des propriétés métriques ou projectives de