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SAVANTS ET ÉCRIVAINS

de votre Compagnie. Je le sais, et tout le monde le sait ; c’est ce qui me dispense d’insister davantage, et me permet d’aborder sans plus de retard cette noble figure que je dois chercher à faire revivre, mission qui m’attire, et dont je me sens écrasé.

En vous parlant de Sully Prudhomme, ce n’est ni par le poète, ni par le philosophe, que je commencerai ; c’est par l’homme, car c’est lui qui nous fait comprendre à la fois l’un et l’autre.

Pour connaître l’homme, nous n’avons pas seulement le témoignage de ses amis, et ce que tout poète met de son âme dans ses vers, nous possédons un cahier de pensées intimes, qu’il écrivait pour lui-même à l’âge de dix-huit ans, et qu’il n’a pas livrées au public. Dans ce recueil, que lisons-nous ?

« On n’est heureux que par ce qu’on sent, et non par ce qu’on est ; mais on est grand par ce qu’on pense, et point par le bonheur. Vaut-il mieux être heureux que grand ?… Oh ! sevrez-nous de jouissances, mais non pas d’infortunes. Combien l’homme heureux est inférieur à l’homme qui sait souffrir. Nous