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SULLY PRUDHOMME

tenons à l’honneur de souffrir avec force, comme le soldat tient à la blessure qui lui décore la poitrine ».

Cette profession de foi de sa jeunesse, sa vie ne l’a pas démentie ; non que vous deviez vous attendre à des récits retentissants, mais parce que ce même sentiment, toujours en éveil, inspirait sans bruit les moindres actes de toutes ses journées.

D’où venait donc une telle soif de sacrifice ? Chez Sully Prudhomme se trouvaient réunies deux facultés qui d’ordinaire s’excluent : une sensibilité exquise et délicate, une puissance de réflexion tenace et perspicace. Isolée, chacune d’elles eût trouvé son équilibre. La réflexion eût fait de lui un bourgeois satisfait ; la sensibilité aveugle se fût endormie dès que se serait éloigné l’objet qui l’aurait blessée. La sensibilité clairvoyante ne connaît pas de repos. Elle cherche toujours et multiplie ainsi les occasions de souffrir. De là des scrupules sans cesse renaissants ; la conscience s’interroge, ne croit jamais avoir assez fait, et ne peut être contentée que par des actions difficiles.