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SULLY PRUDHOMME

tabellion, et à partir de ce moment, sa famille le laissa libre de suivre ses goûts.

Le public fut ravi ; il venait d’entendre des accents nouveaux, et ces accents étaient ceux que la jeune génération attendait depuis longtemps, sans en avoir conscience. La voix qui s’élevait ne ressemblait à aucune de celles qu’on avait connues. Sully Prudhomme est avant tout un psychologue ; ce qu’il aime à peindre, ce ne sont pas les aspects brillamment colorés du monde matériel, ce sont les demi-teintes de la vie intérieure, les joies et les tristesses de l’âme, et comme la seule âme que nous puissions connaître, c’est la nôtre, son véritable sujet, c’est lui-même. C’était déjà celui des romantiques, mais combien de différences que son caractère et son temps suffisent à expliquer !

Ce que les romantiques nous montrent d’eux-mêmes, c’est ce qu’il peut y avoir en eux d’exceptionnel et d’extraordinaire ; le lecteur est ému, mais il est étonné ; il sent dans Sully Prudhomme un ami qu’il peut admirer sans fatigue ; il croit rencontrer une âme semblable à la sienne, quoique plus délicate