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SAVANTS ET ÉCRIVAINS

Si la poésie scientifique n’est pour la science qu’une parure, la poésie philosophique peut être un instrument pour le philosophe en quête de la vérité. C’est qu’en effet la réalité que le philosophe aspire à connaître n’est pas celle dont le savant se contente. La réalité, la vraie, celle du philosophe, est constamment vivante, constamment changeante, les diverses parties en sont intimement liées et semblent se pénétrer mutuellement, de sorte qu’on ne saurait les séparer sans les déchirer. Celle du savant n’en est qu’une image ; comme toutes les images elle est immobile et elle est morte ; ou plutôt c’est une mosaïque dont les pierres sont juxtaposées avec art, mais ne sont que juxtaposées. Sans doute cette image peut seule nous permettre de connaître, puisque nous l’avons faite à la mesure de notre entendement.

Mais quand le philosophe l’a contemplée, il demande autre chose. Ce qu’il sent ainsi, comment pourra-t-il l’exprimer ? Les mots de la prose sont comme ceux du langage scientifique ; définis une fois pour toutes, ils ne peuvent représenter que des objets immua-