Page:Henry - Les Littératures de l’Inde.djvu/25

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gît tout le piquant de la devinette) : c’est le soleil, et c’est Sisyphe. — « Il plonge dans l’eau et ne saurait boire  » : c’est le reflet du soleil dans la mare, et c’est le noyau du supplice de Tantale. — Mais, à l’heure où nous les surprenons chez eux, les Grecs avaient déjà arrangé ces clichés en tableaux et en récits ; l’Inde seule, parfois, nous les livre encore, pour ainsi dire, à l’état brut.

Et voici où s’accuse la différence foncière de race et de goût déjà relevée entre les deux peuples : lorsqu’elle les arrange, rien ne lui en répugne. De ces légères images la Grèce adoucit les contours : elle accumule à l’entour les accessoires qui les rendent, à défaut de vraisemblance, agréables à l’œil et acceptables à la raison ; elle en élimine ou atténue les monstruosités et les paradoxes[1]. L’Inde les pousse à l’outrance : il n’y a jamais, pour elle, assez de miracle ni assez de mystère ; plus le songe est étrange, plus elle le voit réel. Ainsi se lègue et s’enfle de siècle eu siècle le trésor verbal — mais le mot crée l’idée — où tous ses penseurs ont puisé : les poètes en ont tiré des allégories grandioses et compliquées ; les prêtres, des théosophies d’abstruse mysticité ; leurs adversaires, les symboles de religiosités nouvelles ; les philosophes, la claire conscience du néant des symboles et de l’éternelle vérité

  1. Voyez ce que sa statuaire a fait, par exemple, de la tête de Méduse, et comparez ensuite les rêves grimaçants dont l’Inde a encombré ses temples.