Page:Henry - Lexique étymologique du breton moderne.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
XXVI
INTRODUCTION

d’un effort de conjecture plus ou moins plausible, qu’enfin le répondant, s’il se rencontre à coup sûr, n’existe que dans un seul des autres domaines de l’indogermanisme, ce qui interdit d’affirmer qu’il ait vraiment appartenu à l’indo-européen commun. Il est donc à supposer que les Celtes, au moins les Celtes insulaires, se sont trouvés, à un moment donné, dans leur marche d’immigration ou de conquête, en contact avec une nation plus homogène et plus dense que celles qu’ont rencontrées sur leur route les autres envahisseurs de l’Europe, ou bien encore avec une race qui était à peu près leur égale en civilisation[1], qu’ils en ont triomphé et l’ont absorbée, mais non sans y laisser quelque chose de la pureté de leur propre langue, et qu’enfin le celtique commun fut un mélange, à doses fort inégales, mais pourtant encore reconnaissables, des dialectes de ces vainqueurs préhistoriques et de ces vaincus désormais effacés. En un mot, et toutes proportions gardées, bien entendu, la langue de ceux-ci aurait survécu à l’invasion celte comme le latin à la conquête des barbares[2]. Mais c’en est assez sur un secret que le passé nous garde et gardera toujours. La science n’a que faire d’hypothèses qu’elle ne sera jamais en mesure de confirmer ni de réfuter.

  1. Selon M. d’Arbois de Jubainville le domaine conquis par les Celtes continentaux l’a été sur les Ligures, population indo-européenne. Cette donnée importante ne nous permet pas néanmoins d’identifier les vocables non-celtiques égarés dans le celte ; car nous ne savons presque rien de la langue des Ligures ; moins encore, de celle des Ibères, que les Ligures avaient supplantés ; et enfin, nous ignorons à quelles peuplades primitives ont eu affaire les Celtes insulaires en envahissant la Grande-Bretagne.
  2. Bien d’autres considérations entrent ici en ligne de compte, et mon excellent confrère M. Duvau m’en confirmait une tout récemment. Seuls de tous les Indo-Européens, tous les Celtes ont la numération vigésimale (br. daou-ugent = 40). Cette particularité leur est commune avec les Français, seuls de tous les peuples romans (quatre-vingts, six-vingts, les Quinze-Vingts) ; et les Français sont aussi les seuls qui habitent un domaine jadis exclusivement celte. Il est donc impossible de ne pas songer à des occupants préhistoriques, non indo-européens, qui, comme aujourd’hui encore les Eskimos par exemple, comptaient par les dix doigts des mains, puis par ceux des pieds, puis recommençaient, et qui auraient légué leur système aux Celtes envahisseurs.