Page:Henry George - Progrès et Pauvreté.djvu/345

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action humaine ne peut annuler, qu’aucune prescription ne peut détruire. Que les parchemins soient aussi nombreux que possible, que la possession soit aussi longue que possible, la justice naturelle néanmoins, ne peut reconnaître à un homme aucun droit à la possession et à la jouissance de la terre qui ne soit également le droit de tous ses semblables. Bien que le fils aîné du duc de Westminster ait des titres reconnus par des générations et des générations, cependant le plus pauvre des enfants nés aujourd’hui à Londres, a autant de droit que lui aux vastes propriétés du duc. Bien que le peuple souverain de l’État de New-York ait reconnu les propriétés foncières des Astors, cependant l’enfant le plus chétif venant au monde dans une chambre misérable, est investi à ce moment même d’un droit égal à celui des millionnaires. Et il est volé si on lui dénie ce droit[1].

Nos précédentes conclusions, irrésistibles en elles-mêmes, reçoivent donc de l’épreuve finale et suprême, une approbation nouvelle. Traduites des termes économiques en termes éthiques elles prouvent que c’est une injustice qui est la source des maux qui augmentent à mesure que le progrès matériel grandit.

Les masses d’hommes qui au milieu de l’abondance souffrent de la misère ; qui, investies de la liberté politique, sont condamnées aux salaires des esclaves ; et à qui les inventions économisant le travail n’apportent aucun soulagement mais semblent plutôt leur voler un privilège, sentent instinctivement « qu’il y a là quelque chose d’injuste. » Et elles ont raison.

Les maux sociaux si répandus, qui, partout oppriment les

  1. Ce droit naturel et inaliénable à l’usage et à la jouissance de la terre est si évident qu’il a été reconnu par des hommes chez qui la force et l’habitude n’avaient pas émoussé les premières perceptions. Pour ne donner qu’un exemple : les colons blancs de la Nouvelle-Zélande trouvèrent eux-mêmes impossible d’obtenir des Maoris ce que ceux-ci considéraient comme une concession complète de la terre, bien qu’une tribu entière ait consenti à la vente ; chaque fois qu’il naissait un enfant parmi eux, ils réclamaient un paiement additionnel, disant qu’ils n’avaient vendu que leurs propres droits, et n’avaient pas vendu les droits de ceux qui n’étaient pas encore nés. Le gouvernement fut obligé d’intervenir et régla la chose en achetant la terre pour un tribut annuel dont chaque enfant en naissant acquérait une part.