Page:Henry George - Progrès et Pauvreté.djvu/465

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que soit l’intelligence qui respire à travers le monde, c’est à sa ressemblance qu’est fait l’homme. Le vapeur conduit par ses machines palpitantes à travers les mers, est en espèce, sinon en degré, une création comme la baleine qui nage autour de lui. Qu’est — ce que le télescope et le microscope, sinon des yeux supplémentaires que l’homme a faits pour lui-même ; les douces étoffes et les belles couleurs dont se parent nos femmes ne répondent — elles pas au plumage que la nature donne à l’oiseau ? L’homme doit faire quelque chose ou s’imaginer qu’il fait quelque chose, car en lui palpite l’impulsion créatrice.

Aussitôt qu’un enfant peut commander à ses muscles, il commence à faire des pâtés de sable ou à habiller une poupée ; ses jeux ne sont que l’imitation du travail de ses aînés, son penchant à la destruction naît du désir de faire quelque chose, de la satisfaction qu’il ressent à faire quelque chose. La poursuite du plaisir uniquement pour l’amour du plaisir n’existe pas. Nos amusements ne nous amusent que parce qu’ils nous apprennent, ou nous stimulent à apprendre, à faire quelque chose. Du moment qu’ils cessent de faire appel à nos facultés scrutatrices ou constructives, ils cessent de nous amuser. Ce serait gâter le plaisir du lecteur d’un roman que de lui dire comment juste finit l’histoire ; c’est seulement la chance et l’adresse qu’implique le jeu qui engage le joueur de cartes à « tuer le temps » en battant des morceaux de carton. Les frivolités luxueuses de Versailles n’étaient possibles que parce que le roi pensait qu’il gouvernait un royaume et que les courtisans venaient y chercher de nouveaux honneurs et de nouvelles pensions. Les gens qui mènent ce qu’on appelle une vie de mode et de plaisir doivent avoir quelque autre objet en vue ou ils mourraient d’ennui ; ils ne supportent cette vie que parce qu’ils s’imaginent gagner une position, se faire des amis, préparer des chances de réussite à leurs enfants. Enfermez un homme, refusez lui toute occupation, et il mourra, ou deviendra fou.

Ce n’est pas le travail en lui-même qui répugne à l’homme ;