Page:Heredia - Discours de réception, 1895.djvu/22

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sommes trop récemment issus. C’est elle qui nous a faits ce que nous sommes. La lumière qu’elle projette est une lueur de foudre qui éblouit plus qu’elle n’éclaire. La juste vision est faussée. Tout y paraît démesuré, monstrueux, le bien comme le mal. Nous ne pouvons équitablement juger une époque où la vertu s’emporta jusqu’au crime ; où le crime même, pour quelques âmes grandes et farouches, ne fut peut-être que l’excès d’une horrible vertu. Mais quant aux purs scélérats, si de tels mots se peuvent accoupler, l’éternelle Justice nous enjoint de les détester et d’avoir le courage de la pitié pour tant de belles et innocentes victimes, pour tant de justes massacrés, comme a dit le poète. Et moi, dont le seul honneur est d’avoir essayé de parler la même langue que lui, celle des dieux, je ne puis m’empêcher d’être du parti d’André Chénier contre les bourreaux qui firent choir dans un vil panier cette tête précieuse, pleine encore de chefs-d’œuvre.

Tandis que le sang des femmes et des poètes ruisselait sur le pavé de Paris, partout, du Nord au Midi, sur les frontières, le sang français était chaque jour glorieusement versé pour la défense de la patrie et de la liberté. Une génération guerrière avait grandi aux armées du Nord, de Sambre et Meuse, de Rhin et Moselle, du Rhin et d’Italie. Sortis du peuple, de la bourgeoisie ou de la noblesse, tous ces soldats se battaient pour la France, sous le même drapeau. « C’est une chose bien remarquable, a dit Napoléon, que le nombre de grands généraux qui a surgi tout à coup dans la Révolution. » La plupart sortaient des bataillons de volontaires : Hoche, Marceau, Kléber, Ney, Soult, Lannes,