Page:Hervey de Saint-Denys - Poésies de l’époque des Thang, 1862.djvu/114

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le pied trop à l’étroit, l’empereur lui dit de se mettre à l’aise, et ordonna à l’eunuque Kao-li-ché de le déchausser. Li-taï-pé se laissa faire, et l’orgueilleux eunuque en conserva la rage dans le cœur,

« L’occasion de se venger lui parut favorable, quand il apprit que Ming-hoang songeait à combler d’honneurs celui qu’il haïssait. Li-taï-pé avait composé quelques stances qu’on pouvait interpréter en satires contre la célèbre Yang-feï, plus connue sous son titre de Taï-tsun, et pour laquelle l’empereur avait une tendresse aveugle. L’eunuque sut exciter la colère de cette favorite et s’en faire une arme contre son ennemi. Li-taï-pé, de son côté, plus choqué d’être soupçonné d’avoir voulu insulter son maître, que d’avoir manqué une fortune qu’il n’ambitionnait point, prit peu à peu un tel dégoût de la cour, qu’il résolut de rompre entièrement tous les liens qui l’y attachaient. Il pria l’empereur avec tant d’instance de lui permettre de se retirer, et revint si souvent à la charge, que ce prince lui accorda enfin sa demande. Voulant toutefois lui donner des preuves de l’estime dont il l’honorait, Ming-hoang lui fit présent d’un assortiment complet de ses propres habits, faveur qu’il ne concédait que très rarement et seulement pour des services rendus à l’Empire. À ce présent honorable il joignit celui de mille onces d’or.

« Un traitement si magnifique, » ajoute le père Amiot, « aurait dû pénétrer celui qui le recevait de la plus vive reconnaissance ; mais Li-taï-pé ne prouva que trop, par la conduite qu’il tint ensuite, que les qualités du cœur, chez un grand poète, n’égalent pas toujours celles de l’esprit. À peine eut-il recouvré sa liberté qu’il se mit à parcourir au hasard toutes les provinces de l’Empire, ne s’arrêtant que dans les tavernes, et s’abandonnant sans réserve à sa passion pour le vin[1]. »

Était-ce bien le vin qu’il aimait ? N’était-ce point plutôt l’étour-

  1. Mémoires concernant les Chinois, t. V, pp. 399-403.