Page:Hervey de Saint-Denys - Poésies de l’époque des Thang, 1862.djvu/115

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dissement que procure l’ivresse ? L’oubli de cette vague inquiétude, de cette pensée de la mort qui l’obsédait sans cesse, et qu’on retrouve constamment dans ses vers ? Le mélange d’insouciance et de tristesse, qui fait le fond du caractère de Li-taï-pé, se rencontre très fréquemment parmi les membres de la grande famille chinoise. Il ne serait pas surprenant que cette disposition d’esprit du célèbre poète eût contribué beaucoup, pour sa part, à la vogue énorme de ses écrits.

Li-taï-pé menait depuis plusieurs années cette vie vagabonde, lorsqu’un grand seigneur, de ceux qu’il avait connus jadis à Tchang-ngan, parvint à le fixer près de lui. Ce seigneur devint l’un des chefs de la formidable révolte qui éclata durant les dernières années du règne de Ming-hoang, et le poète, bien que ses panégyristes l’en défendent, demeura fortement soupçonné d’avoir pris part à la conjuration. Il fut emprisonné ; sa complicité, apparente ou réelle, lui aurait peut-être coûté la vie, si le prestige de son nom ne l’eût mis à l’abri de tout danger. Les portes de sa prison s’ouvrirent ; on le rappela même à la Cour, et il se disposait à s’y rendre, quand la mort le surprit dans la soixante et unième année de son âge, l’an de notre ère 763.

Comment finit le poète favori de la nation chinoise ? Les biographes sont loin de s’accorder à ce sujet. Les uns le font mourir d’une rapide maladie, dans la maison de l’un de ses neveux appelé Yang-ping, qui habitait le Kiang-nan ; ils disent qu’il fut enterré sur le versant d’une montagne, près de la ville de Thang-tou. D’autres veulent qu’il ait péri victime de l’ivresse, cette passion dont il ne sut jamais se guérir : ils racontent qu’il traversait la province de Kiang-nan, par la voie des canaux et des rivières, lorsque ayant essayé de se tenir debout sur l’un des côtés de sa barque, après avoir bu plus que de raison, il ne fut pas assez ferme sur ses pieds, tomba dans l’eau et se noya. Cette dernière version paraît avoir inspiré la légende qu’a traduite M. Th. Pavie et qui s’exprime ainsi :