Page:Hervey de Saint-Denys - Poésies de l’époque des Thang, 1862.djvu/116

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« La lune, cette nuit-là, brillait comme en plein jour ; Li-taï-pé soupait sur le fleuve, lorsque tout à coup, au sein des airs, retentit un concert de voix harmonieuses qui peu à peu s’approchèrent du bateau. Il s’éleva aussitôt un grand tourbillon au milieu des eaux : c’était des baleines qui se dressaient, en agitant leurs nageoires ; et deux jeunes immortels, portant à la main des étendards pour indiquer la route, arrivèrent en face de Li-taï-pé. Ils venaient, de la part du Maître des cieux, l’inviter à retourner prendre sa place dans les régions supérieures. Les gens de l’équipage virent le poète s’éloigner assis sur le dos d’une baleine ; les voix harmonieuses guidaient le cortège… bientôt tout disparut à la fois dans les nues[1]. »

L’admiration des Chinois a été jusqu’à élever un temple à celui qu’ils appellent le grand Docteur, le Prince de la poésie, l’immortel qui aimait à boire.

Thou-fou, le seul rival de Li-taï-pé, le regardait lui-même comme son maître. Un lettré fameux, qui a commenté les œuvres complètes de ces deux hommes célèbres, termine pourtant ainsi son appréciation de leurs mérites respectifs. « Il ne faut point discuter sur la question de savoir lequel de Li-taï-pé ou de Thou-fou est supérieur à l’autre. Ils ont chacun leur manière. Quand deux aigles prennent leur essor vers les régions les plus élevées, et qu’ils volent chacun dans une direction différente, il serait impossible de dire lequel des deux s’est élevé le plus haut. »


  1. Contes et Nouvelles, traduits du chinois par Th. Pavie.